L’affaire Abou Bakari Tandia

Un pied dans la tombe !

Abou Bakari Tandia  Mardi 12 Février, l’affaire Abou Bakari Tandia passait devant les juges de la cour d’appel.

Nous avançons à reculons vers la machine judiciaire. Les barrières se referment derrière nous, les portes  chuintent alors que nous nous enfonçons dans les entrailles de la cour d’appel de Versailles. Je commence à  ressentir le piège se referme, nous nous jetons dans la gueule du loup ! Nous apercevons des barreaux, des  robes de juge et d’avocat, des uniformes et des armes. Ca pu la prison et le stress. Ici on condamne.

Mais nous ne sommes pas là pour perdre notre liberté, nous venons volontairement pour apporter notre soutien à la famille d’Abou Bakari Tandia. Abou Bakari Tandia (1), était un Malien âgé de 38 ans, mort le 24 janvier 2005 après une garde à vue dans les locaux de la police. Sept ans après, sa famille n’a toujours pas reçu d’explication satisfaisante sur les circonstances ayant conduit à sa mort.

L’enquête a été lente, intermittente, et elle a rencontré de graves obstacles, l’administration hospitalière et les autorités chargées de l’application des lois tardant à produire certaines pièces ou même ne les fournissant pas du tout. A ce jour, aucune charge n’a été retenue contre les cinq policiers mis en cause. La demande d’appel à été demandé ce mardi 12 Février à la cour d’appel de Versailles.
Nous sommes présent pour ne plus jamais laisser faire que force fasse le droit, ni laisser triompher l’oubli comme unique sépulture pour des victimes disparus. Voici l’engagement que tout être raisonnable doit prendre suite aux terribles souvenirs que nous lèguent les dictatures fascistes.

Les systèmes de dominations fascistes ont appris il y a bien longtemps l’importance de s’attaquer au corps des défunts, ces corps déjà massacrés par les tortures doivent disparaitre, l’oubli règne sur la place publique. Pourtant des groupes sociaux se constituent et résistent. La volonté d’anéantissement du régime nazie consistait à tuer mais également à anéantir et priver d’histoire, mais un devoir de mémoire a été institué grâce à une pression populaire. Les places d’Amérique latine, du Chili à l’Argentine ont vu se constituer des comités pour la vérité et la justice face aux disparus.

Aujourd’hui nous sommes rassemblés autour d’un comité « vérité et justice » (2), celui en faveur d’Abou Bakari Tandia, un comité qui rend les noblesses à l’histoire humaine ; celle de s’opposer aux dénis d’état pour rendre aux individus et aux familles la dignité d’avoir existé. Bien qu’ici le corps n’ait pas disparu, il a été attaqué. Les vêtements ont disparus, le dossier médical aussi pour un temps et le corps alors comateux a été confisqué à la famille avec comme pour motif la poursuite de la garde à vue. Une violence inutile, profondément sadique comme peuvent l’être les décisions froides des administrations répressives. Une insulte à tout respect ancestral pour l’accompagnement des mourants.

Approcher les gens qui ont été touché par cette tragédie nous couvre d’humilité et c’est à demi mot que nous nous présentons.
L’humanité des familles est toujours touchante dans leur souhait le plus compréhensible qui est de savoir, non pas vengeance, mais pour pouvoir constituer un récit des événements. Car ces récits constituent des narrations familiales permettant aux membres de la famille d’établir une filiation et ne pas laisser les éléments manquants, ces vides négatifs hantés le discours familial.

Alors que nous rentrons dans la salle d’attente, je suis tiraillé par différentes émotions. J’ai envie de hurler mon dégout contre la prison et la machine carcérale, cette oppressante épée de Damoclès qui pend au dessus des têtes de futures victimes du système carcéral, de nos camarades militants. Je rage de voir cette justice à deux vitesses où un camarade prend six mois ferme pour possession d’armes en bande organisé (sans s’en servir), et où des policiers qui ont tués un Malien voient toutes leurs charges abandonnées. Je ressens la lassitude et la tristesse de ces personnes qui ne veulent savoir que la vérité dans cette affaire.

Je n’ai pas connu personnellement Abou Bakari Tandia, je n’ai pu m’en faire une représentation que dans l’imaginaire que m’apportent le comité de soutien et l’oncle présent. Je m’imagine un jeune homme, une sorte de personnage Kafkaïen, peut être bien Joseph K du procès, condamné à mort pour une double résistance. La première est qu’alors qu’une grande partie de sa famille était régularisée, lui après plus d’une dizaine d’année de résidence en France il n’avait pas fait le choix de se soumettre à l’administration française et son lot de paperasse. Nous savons que pour devenir français il faut oublier de vivre et faire régner l’ordre administratif sur sa vie, perdre sa vie dans les rouages de l’état pour ensuite, peut-être, pouvoir rester sur le sol français. Certains décident de vivre et de ne plus se laisser mourir un temps pour la France.

Nous étions 7 personnes dans la salle d’attente de la cour d’appel, en soutien à la famille d’Abou Bakari Tandia, représenté par son oncle et l’équipe d’avocats.

Que demandent t-ils ? La justice, la prison ?

L’oncle d’Abou Bakari Tandia est venu pour comprendre, pour permettre à la mémoire de faire son travail, c’est-à-dire, de pouvoir laisser partir le mort lorsque justice est faite. Il s’agit bien évidemment d’une question dépassant celle de la justice humaine. Nous sommes dans un acte symbolique de reconnaissance d’une justice permettant de faire le deuil. Il n’est guère facile de faire un travail d’élaboration psychique de la perte sous fond de dénis. La mobilisation autour de l’injustice suprême commise à l’encontre d’Abou Bakari Tandia permet de poser les jalons de cette justice symbolique, permettant d’être plus en paix avec la pensée des morts.
Le non-lieu prononcé par la précédente cours laisse un gout amer. Trop de floue dans cet affaire, du dossier médical disparu aux différents témoignages qui ne concordent pas. Nous voyons ici une justice à deux vitesses.

Ce gout amer vient de ce que les forces de l’ordre comme la justice ne sont plus le symbole d’un pouvoir citoyen équitable et égalitaire. Plus de gardiens de la paix, ici on maintien l’ordre. De fait, Abou Bakari Tandia était sans papier, c’est-à-dire à la merci de la répression policière, devenir son propre otage, enfermé dans sa propre prison, avec ses autorisations de sortie au risque du contrôle arbitraire. Coupable d’aucune faute, mais fugitif d’une déraison d’état. Comme pour beaucoup de « sans-papiers » il y a les contrôles fréquents sur des motifs ridicules, prétextes fantoches. Ces motifs d’interpellation révèlent tout de même le degré des fantasmes contre les « étrangers ». Ils marchent au bord des voitures dans la rue, ce sont des voleurs en puissance. Que dire s’il avait marché sur la route, un trouble à l’ordre public, une volonté émeutière, et s’il s’approchait d’une cours d’école, un preneur d’otage ?

Selon la police, il aurait résisté en garde à vue, il aurait refusé une humiliation. Il mourra de cette résistance. La domination policière comme l’a décrit Mathieu Rigouste dans son livre n’est pas le résultat de quelques bavures mais une organisation de la violence en système industrielle. Que pouvons-nous supposer de la psychologie de ces policiers ? Etre policier est un rêve de gamin, un caprice de voir le monde lui obéir avec les artifices de la force. Devenu adulte, la toute-puissance infantile est contrainte, l’être humain sait que pour vivre en société il doit respecter des interdits fondamentaux comme celui de l’inceste et du meurtre.

Nous pouvons supposer que ces policiers en face d’un jeune qu’ils ont réifié ne supportent pas de le voir défendre son droit d’exister en tant que sujet libre malgré leurs chaines. Ils ne peuvent voir questionner leur toute-puissance infantile et se mettent à leur torturer pour faire taire son existence. De cette psychopathologie de l’agir comme réponse à l’impossibilité de penser la différence et l’altérité de chaque sujet. L’autre n’est que prétexte au déferlement de leur volonté de puissance et seul un être se comportant comme une victime et une proie implorant leur clémence pour éviter le châtiment extrême.

Ces hypothèses que l’on peut retrouver dans différents fragments cliniques, montrent qu’il faut une troisième instance pour faire cesser les agissements psychopathiques de nombres de policiers. Lorsque l’enfant agit sans respecter les autres, on lui rappelle que pour vivre en société il doit prendre en considération les autres. Il faut lui faire découvrir qu’il existe une altérité grâce à la fonction tierce d’une figure parentale ou de la société. Dans le slogan « la police nous protège, mais qui nous protège de la police ? » on voit bien que la police est appelée comme un rôle de régulateur dans la société, celui qui vient protéger, c’est-à-dire dans ce système patriarcal, la police prend la place du père. Néanmoins comme nous le voyons, l’arbitraire est au cœur même de cette domination policière, il n’y a donc qu’une corporation ultra violente qui fait respecter un ordre corrompu. Qui vient faire tiers dans notre rapport à la police ? Une des réponses apportée par la société est : la justice. Pourtant si cette justice est elle aussi soumit aux mêmes règles et ne vient pas contredire la folie meurtrière policière, nous tombons dans un système d’une perversité folle.

Nous pensons, et on pourrait relire l’oeuvre de Freud, Totem et Tabou pour comprendre, que face à une figure tyrannique seule l’alliance du sociale permet de la renverser et de faire société. C’est bien ce qui se passe dans cette salle d’attente de la cour d’appel de Versailles, nous le social faisons alliance pour ne pas laisser la tyrannie régir nos vies. Face à l’union de l’arbitraire corporatiste, la résistance sociale est notre moyen de nous faire entendre en tant que sujet refusant de se taire face aux logiques des sociétés s’approchant gravement d’une gestion totalitaire de la politique.
Pourquoi demander justice alors ?

Nous ne devrions pas jouer avec les armes des puissants, nous restons soumis malgré tout.
Que l’appel soit un échec ou une « victoire », un homme est mort et la police reste comme elle l’était.
Nous ne devrions pas jouer avec ces armes-là car elles ne peuvent qu’emprisonner, asservir, briser des vies.

Ce n’est pas uniquement le rôle concret de la machine judiciaire qui est sollicitée mais c’est aussi son rôle symbolique pour déconstruire les dénis et lutter contre l’oubli, faire surgir les mots, les vérités, ne pas laisser les bourreaux abuser une seconde fois de leur victime en leur imposant le silence et les mensonges.
Sans utopie sur une justice qui protège son bras armé violent et criminel, nous devons être présents pour lui signifier qu’elle ne pourra pas fabriquer de l’oubli tant qu’on sera là pour se souvenir.
Alors qu’on patiente dans cette salle d’attente de la cour d’appel de Versailles. Je me sens comme dans une salle d’accouchement, à attendre le verdict.
Quelle sera le sexe ? Accepté ou refusé ?
Peut –être est-ce ce sentiment que pour faire advenir la possibilité de vivre, il faut pouvoir faire son deuil.
Quoi qu’il arrive le résultat sera toujours négatif. Ce que la famille réclame, c’est la vérité.

Alors, l’oncle, nous remercie d’être venus apporter un modeste soutien par notre présence.
Nous voulons ici le remercier de faire de faire vivre un principe de dignité humaine ; celui de la résistance de l’humain.
Tant que l’état sera oppressif, tant que l’état sera, les outils répressifs seront abusifs.
La police comme la justice nous laissera ce dégout et cette amertume.

En mémoire de ces trop nombreuses victimes de la barbarie policière, ces Abou Bakari Tandia, Lamine Dieng, Hakim Ajimi, Mamadou Marega, Ali Ziri … nous exprimons notre profond respect et notre plus grand mépris aux bourreaux impunis. NI OUBLI, NI PARDON !

(1) Voir le rapport d’Amnesty International : France « notre vie est en suspens » Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite. Novembre 2011
(2) Plus d’information : http://abtandia.free.fr

Contact : cala(at)riseup(dot)net                   remplacer (at) par : @ et (dot) par : .

One Response to “L’affaire Abou Bakari Tandia”

  1. […] ceux et celles qui n’ont pas suivi l’affaire, nous décrivons nos impressions dans cet article ; vous pourrez également y trouver des sources extérieures parlant de l’affaire Abou Bakari […]

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